


J’étais incapable de sortir de mon véhicule. Clouée au fond du siège du conducteur il m’était impossible d’ouvrir la portière. Impossible de retenir les larmes torrentielles qui coulaient sur mon visage. Depuis plusieurs semaines, tous les matins je pleurais dans la voiture avant d’en sortir pour me rendre au bureau. Ça faisait plusieurs mois que je devais feindre d’aller bien devant mes collègues alors que ça n’allait clairement pas du tout. Pendant six mois, j’ai essayé de recoller les pots cassés avec l’homme avec qui j’avais bâti des projets d’avenir. Mes rêves s’étaient écroulés, j’ai été blessée, brisée, trahie et abandonnée.
Dans la confusion et le désespoir, je me suis enfin décidée à téléphoner à mon supérieur hiérarchique :
— Je n’arrive pas à sortir de l’auto, lui ai-je dit en sanglotant. Mais elle ne comprenait rien à mon charabia.
— J’arrive pas à sortir. J’y arrive plus, lui répétai-je. Je ne pouvais plus m’arrêter de pleurer.
— Où es-tu exactement Anathalie? Veux-tu que je vienne? » me répondit-elle inquiète.
NON!!! Il ne fallait surtout pas qu’on me voie dans cet état. J’avais tellement honte. Honte de m’être effondrée, honte de l’avoir supplié de rester, honte d’y avoir cru et honte de ma vulnérabilité. Il ne fallait pas qu’elle me voie.
— Non, non, j’ai juste besoin de me reposer un peu. Je serai d’aplomb mardi matin. Ça va aller… lui répondis-je.
-Anathalie, il faut que tu voies un docteur. Ça fait un bout de temps que ça ne va pas. Ça paraît. Va voir le docteur s.t.p..
— Non, non, ce n’est pas nécessaire. Ça va aller…
On ne va quand même pas encombrer les urgences pour une peine de cœur! Voyons! Vingt minutes après qu’elle eut raccroché, je réussis à démarrer le véhicule et à rentrer à la maison.
Le diagnostic tombe
Au début de la semaine suivante, je n’eus pas le choix de consulter un médecin. Le peu de personnes à qui je m’étais confiée sur l’épisode de la voiture me sommait de me rendre à l’hôpital. Arrivée à la clinique, l’infirmière me demanda si j’avais des idées suicidaires ; j’éclatai en sanglots en lui répondant que oui.
— Avez-vous un plan? Un moment? Un lieu? m’a-t-elle demandé.
Oui, oui et oui. Le diagnostic du médecin était formel : Dépression clinique majeure. L’unique fait de l’entendre me fit fondre en larmes à nouveau. Je souffrais d’une maladie mentale. J’étais faible, mentalement instable et c’était maintenant cliniquement établi. Ou du moins, c’était la façon dont je le percevais.
L’incompréhension des proches
Évidemment, je ne l’ai pas crié sur les toits. On pouvait compter sur une main le nombre de personnes qui étaient au courant de ma maladie mentale. Lorsque j’en ai parlé à mes deux amies les plus proches, l’une m’a répondu :
— Oh non Thalie! Pourquoi t’es-tu fait ça? Pourquoi as-tu donné autant de pouvoir à un homme? T’es beaucoup trop forte pour ça!
Ensuite, l’autre m’a dit :
— Ben, voyons! Prie là-dessus. Arrête de t’apitoyer sur ton sort. Enlève les idées noires de ta tête pis sors-toi de là. Ça ne vient pas de Dieu. Prie pour chasser le mauvais esprit.
Ah ! c’était maladroit de leur part, mais ce n’était pas méchant… Dans tous les cas, je n’en parlais plus à personne. Pas même à celles qui habitaient avec moi. Je restais enfermée dans ma chambre à longueur de journée. Je n’avalais que des minicroissants. On ne me voyait plus. J’étais devenue un fantôme pour mon entourage.
Mes proches et mes connaissances m’ont tous abandonné, les hôtes de passage, dans ma maison, m’ont oublié, et mes propres servantes font comme si j’étais un étranger. Je ne suis plus pour eux qu’un inconnu.
Ils ont horreur de moi tous mes amis intimes. Ceux que j’aimais le plus se tournent contre moi. Ma peau colle à mes os de même que ma chair et je n’ai survécu qu’avec la peau des dents.
Job 19:14-15, 19-20 BDS
La dépression, une réelle maladie mentale
Mais la dépression c’est quoi au juste? Chose certaine, ce n’est pas juste une crise de larmes, une peine d’amour ou un grand chagrin. C’est une maladie mentale qui affectera une personne sur cinq au cours de sa vie. Dans mon cas, ça se manifestait par l’incapacité de rire, de sourire ou de ressentir de la joie, une fatigue physique et émotionnelle chronique, une perte de poids et de masse musculaire marquée, des troubles cognitifs importants (trouble de la mémoire, de la parole, difficulté à prendre des décisions, incapacité à me concentrer, confusion mentale, etc.), des idées noires, des pensées suicidaires, des pensées obsessionnelles récurrentes (les idées en boucle), un manque d’énergie, une perte de l’appétit, de l’insomnie ou des cauchemars, de la léthargie, de l’isolement, de l’apathie…
Mais le pire, parce qu’il y a pire que de fomenter des plans pour s’enlever la vie, le pire c’est la mort de l’âme. J’étais un cadavre blanchi, complètement morte à l’intérieur. Je ne savais littéralement plus qui j’étais et ce en quoi je croyais. J’étais une coquille vide. Je ne savais plus ce que j’aimais ni ce que je n’aimais pas, ma personnalité n’existait plus. Je ne faisais que respirer dans un corps qui m’était devenu étranger. Vous n’imaginez pas la frousse que j’ai eue lorsque j’ai vécu un épisode dissociatif. Je me regardais de l’extérieur et je ne savais pas qui j’observais.
J’ai reçu en partage des mois de déception, j’ai trouvé dans mon lot des nuits de peine amère. Dès que je suis couché, je dis : « Quand vais-je me lever ? » Sitôt levé, je pense : « Quand donc viendra le soir? » Et, jusqu’au crépuscule, je suis agité de douleurs.
C’est pourquoi je ne veux plus réfréner ma langue, je parlerai dans ma détresse, je me lamenterai, car mon cœur est amer.
Si je me dis : « Mon lit m’apaisera, ma couche m’aidera à porter ma douleur », alors tu m’épouvantes par d’affreux cauchemars et tu me terrifies par des visions nocturnes. J’aimerais mieux être étranglé, la mort vaudrait bien mieux que vivre dans ces os.
Job 7:3-4, 11, 13-15 BDS
La dépression c’était ça pour moi. C’était devenir étranger à moi-même. C’est comme se regarder dans le miroir et ne pas reconnaître la personne qui se trouve dans la glace. Je ne souhaite ça à personne. Pas même à mon pire ennemi.
Colère et déchéance
Un mois après que le diagnostic soit tombé, une situation extérieure a déclenché une crise de panique effroyable. Normalement, j’ai tendance à faire preuve de sang-froid lors de situations stressantes. C’est une de mes plus grandes forces. Cette crise de panique était la goutte de trop. J’ai cédé. Devant la montagne que représentait la maladie, j’ai dû accepter de prendre des médicaments pour me soigner.
Malgré les soins médicaux et la thérapie, mon âme ne se portait pas mieux. La médication m’aidait à gérer les symptômes physiques, émotionnels et cognitifs de la dépression, certes, mais elle ne guérissait pas l’aliénation spirituelle que j’éprouvais. La déchéance de celle-ci m’a presque menée à l’apostasie. Il y avait trop de questions irrésolues. J’avais la rage! J’étais frustrée contre Dieu. Les choses que je lui ai dites… Je ne peux même pas les répéter. J’avais la haine. Je voulais me faire du mal pour qu’Il souffre. Pour qu’Il voie à quel point Il m’avait déçue. Pour qu’Il se sente coupable de m’avoir laissé tomber. J’avais mal et je voulais qu’Il le sache. J’en voulais vraiment à Dieu plus qu’à l’homme qui m’avait trahie.
Si je crie à la violence dont je suis la victime, personne ne répond, si j’appelle au secours, il n’est pas fait justice. Il a bloqué ma route, et je ne puis passer. Il a enveloppé mes sentiers de ténèbres. Il m’a ravi ma dignité, et la couronne de ma tête il l’a ôtée. Il m’a détruit de tous côtés et je vais disparaître. Il a déraciné mon espoir comme un arbre. Contre moi, il déchaîne le feu de sa colère, et il me considère comme son adversaire.
Job 19:7-11, BDS
Pourquoi donc m’as-tu pris pour cible ? Suis-je devenu une charge? Pourquoi ne veux-tu pas pardonner mon offense et ne passes-tu pas sur mon iniquité ? Bientôt j’irai dormir au sein de la poussière et tu me chercheras, mais je ne serai plus.»
Job 7 : 17-21 BDS
Toutefois, malgré ma colère et ma frustration, jamais Il ne m’a laissé tomber. Il m’a entourée de personnes clés qui m’ont soutenue tout au long de l’épreuve. Mon église était avec moi, ma famille aussi. Dieu m’a apporté du réconfort à travers l’art que je produisais, Il m’a conduite vers un excellent médecin qui m’a suivie et qui est devenu mon médecin de famille (alléluia !). J’ai été suivie par des pasteurs et un psychothérapeute chrétien. Dieu a été présent dans la vallée de l’ombre de la mort alors que je m’enfuyais de Lui.
La source de la maladie mentale
Finalement, le 21 février 2018, après une discussion que j’ai eue avec mon pasteur, mes yeux se sont ouverts. Il m’a fait comprendre que je mettais à dos la seule personne (Dieu) qui pouvait vraiment m’aider à surmonter mon épreuve. De plus, il m’a dit très sagement que c’était mon entêtement qui m’avait menée au point où j’étais arrivée. C’était vrai.
En fait, un événement précis avait déclenché la dépression, mais ce n’était pas le déclencheur qui était la source de la maladie mentale. Certes, je souffrais de la séparation avec mon conjoint et j’étais épuisée par la maladie de mon père. Toutefois, c’était l’accumulation de plusieurs années de frustration contre Dieu, mon attitude face à Lui, mon entêtement à suivre mes propres voies, les mauvais choix relationnels, les déceptions, et le trop-plein de fatigue mental et physique.
J’avais tenu pour acquis que Dieu me devait tout parce que je Lui avais donné ma vie, que j’étais Son enfant et que je Le servais fidèlement. À mes yeux, lorsque je Lui demandais quelque chose, je devais le recevoir soit dans l’immédiat ou dans un futur proche. Après tout, il est écrit « Demandez et vous recevrez. » N’est-ce pas ? « Je suis la tête, et non la queue », « Je suis en-haut et non en-bas », « Je suis la fille du Roi », « un sacerdoce royal »… J’étais remplie d’arrogance et d’orgueil.
Sans m’en rendre compte, je pensais que Dieu était un larbin à mon service. En tout cas, c’était l’attitude que j’avais face à Lui. Toutes les fois où je n’étais pas exaucée ou que les choses ne se passaient pas comme je voulais, j’étais frustrée. Au fil des années, cette frustration s’accumulait de façon assez alarmante. Elle se manifestait par de l’insatisfaction, de l’ingratitude et par de l’amertume envers Dieu. Mais je ne m’en rendais pas compte.
Soumission à la Souveraineté de Dieu
C’était arrivé au point où je ne reconnaissais plus la souveraineté de Dieu sur ma vie. Pour vous donner un exemple, voici ce que j’écrivais dans mon carnet de notes le 27 juin 2017 :
— Je me sens
- opprimée par la souveraineté de Dieu
- emprisonnée dans ma propre existence
- pas aimée
- délaissée et bernée par Dieu
- comme de la grosse merde
— Je suis comme
- Jonas dans le ventre de la baleine
- Saül puni et maudit par Dieu
— Je sais que
- lorsque les choses vont mal, elles peuvent aller encore plus mal
- Dieu bénit qui Il veut quand Il veut comme Il veut
- ça ne s’améliorera pas
Voilà jusqu’où m’avait menée mon entêtement. Évidemment tout cela est faux, mais lorsque tu es aveuglé par l’orgueil, tes croyances sont fausses, et ton raisonnement l’est aussi. La frustration et l’orgueil m’avaient menée à croire tous ces mensonges. Tout ça était devenu une vérité pour moi. Il fallait que je passe par le brisement, pour reconnaître l’Amour et la Bonté de Dieu afin de comprendre que Sa Souveraineté est bienveillante. Elle n’est ni un châtiment, ni une prison, ni des menottes. En fait, c’est en obéissant avec amour à Ses voies que je suis réellement libre. Pas autrement.
Préparée dans la souffrance
En fin de compte, la dépression n’a pas seulement été une douloureuse épreuve. Elle a surtout été une saison déterminante de ma vie. Dans la souffrance, Dieu s’est révélé à moi comme un Père. Il m’a portée, Il m’a cherchée, Il m’a guérie malgré les mensonges auxquels je croyais. Malgré le fait que je le rejetais. Il n’a jamais cessé de m’aimer. Bien que je ne souhaite à personne de passer par le chemin où je suis passée, je reconnais que la souffrance m’a préparée au ministère. Aussi, elle a fait de moi une bien meilleure personne, ouverte sur les autres et sur l’œuvre de Christ dans leur vie. Aujourd’hui, je remercie Dieu pour le parcours que nous avons traversé ensemble au cours des deux dernières années.
« Papa, je Te prie pour cette personne qui lit ce texte aujourd’hui. Je Te prie de Te révéler à elle comme Tu T’es révélé à moi. Je Te prie de lui communiquer Ton Amour extravagant envers elle. Fais en sorte que dans la souffrance, elle ne se laisse pas berner par les mensonges de l’ennemi, mais qu’elle garde les yeux fixés sur Ton Amour et sur ce que Tu réalises dans sa vie aujourd’hui. Qu’elle continue à croire qu’en toutes choses, Tu désires son bien. Amen ! »
Mais je sais, moi, que mon défenseur est vivant : en dernier lieu il surgira sur la poussière. Après que cette peau aura été détruite, moi, dans mon corps, je contemplerai Dieu. Oui, moi, je le verrai prendre alors mon parti, et, de mes propres yeux, je le contemplerai. Et il ne sera plus un étranger pour moi. Ah ! mon cœur se consume d’attente au fond de moi.
Job 19:25-27 BDS
Pour en savoir plus sur la façon dont Dieu m’a guérie de cette maladie mentale lis la Préface du Journal d’Anathalie.
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